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Seun Kuti : un sax, un combat
Seun Kuti a trente ans. Il a déjà passé la moitié de sa vie à la tête de Egypt 80, le groupe de son défunt père, Fela Kuti. Je l’ai rencontré juste avant son concert à Epalinges dans le cadre de l’excellent et tout nouveau festival 1066. De plus en plus à l’aise, de plus en plus enjoué, Seun Kuti reste toujours aussi vindicatif. Pendant tout l’entretien son regard ne lâche pas le mien. L’homme a des choses à dire, il les dit bien et il veut s’assurer que le message et bien passé. Il ponctue souvent ses phrases d’un rire explosif. Un rire comme un exutoire à la souffrance de ses concitoyens nigérians, dont les conditions de vie toujours plus dures le préoccupent tant.
From Europe in Fury
Vous tournez en Europe, quelle est votre vision de l’Europe en 2013?
Seun Kuti Le monde va plus mal, alors forcément l’Europe va plus mal. Les gouvernements n’écoutent que les riches, passent des lois pour aider les multinationales dont les bénéfices vont aux riches, etc etc. Quand vous entendez les politiciens parler, ils parlent toujours des classes populaires qui doivent travailler plus. Travailler plus pourquoi ? Pour continuer d’enrichir les riches. Mais ils ne parlent jamais d’améliorer les conditions de vie des pauvres. Il y a une égalité dans le vote, mais pas dans la représentation des populations au gouvernement. L’austérité est désormais partout. Regardez l’Espagne, la Grèce, l’Italie ! Sans parler des pays qui n’ont jamais été acceptés dans l’Europe comme la Macédoine ou la Turquie. Ce qui est encore plus grave est que l’environnement va aussi de plus en plus mal. Sans la planète, il n’y a pas de vie…
Vous êtes venus plusieurs fois en Suisse, que pensez-vous de la Suisse ?
Seun Kuti Quand je suis en Suisse, je me dis toujours que l’Afrique est un continent très riche.
L’Afrique ???
Seun Kuti Je vois tout l’agent de l’Afrique chez vous (rires). J’exagère… allez, disons que 60% de l’argent de l’Afrique est en Suisse.
Afrobeatssss
Vous vivez à Lagos, est-ce que vous êtes très présent dans la scène musicale nigériane?
Seun Kuti Je suis plus connu pour être un activiste qu’un artiste. Ma musique est moins exposée au Nigéria qu’aux Etats-Unis ou en Europe. Les radios ne la jouent pas, ni celle de Fela d’ailleurs, à cause de ce qu’elle représente. Ils préfèrent diffuser de la musique africaine américanisée. Ils ont même inventé un nouveau genre : l’afrobeats, afrobeat avec un « s » . Préparez-vous ça va arriver chez vous…
Il y a six ans, lors de la parution de votre premier disque, « Many Things », vous disiez que l’un de vos buts était l’émancipation des Noirs. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Seun Kuti Regardez le monde, c’est devenu une lutte globale. La lutte d’un homme du peuple au Nigéria n’est pas très différente de celle d’un homme du peuple en Chine. Cela dit, je reste un défenseur du continent noir parce que les Africains sont les seuls qui n’ont aucun endroit où aller. Tout le monde leur dit « Pars, rentre chez toi ! ». Mais quand ils se retournent et regardent vers l’Afrique, ils sont obligés de constater qu’ils n’ont plus de chez eux.
Quelle est la situation au Nigéria en 2013 ?
Seun Kuti De pire en pire. 80 % de la population vit avec moins de deux dollars par jour. La souffrance est toujours plus grande. Les gens meurent inutilement. Dans mon pays, si vous avez un arrêt cardiaque dans la rue, vous n’avez aucune chance de vous en sortir. Il n’y pas de service d’urgence qui va venir vous sauver ! Chaque semaine des milliers de gens sont tués sur les routes qui sont beaucoup trop dangereuses. Mais personne ne parle de ça. On préfère parler de la croissance du business. De quel business parlons-nous ? Il n’y pas de croissance si les gens continuent de mourir comme des mouches ! Au moment où je vous parle, toutes les universités sont fermées parce que le gouvernement a refusé de payer un salaire décent aux conférenciers. Evidemment pour les gens qui sont au gouvernement ce n’est pas un problème car leurs enfants vont tous dans des universités privées…
Demo Crazy
En quoi la situation actuelle a changé par rapport à celle qu’a connu votre père ?
Seun Kuti Du temps de mon père, le gouvernement – qui était une dictature, – assumait pleinement d’être le méchant, l’agresseur. Aujourd’hui, le gouvernement reste le principal agresseur de sa population, mais il ne l’assume plus du tout. Il se pose toujours en victime. Ce qui a tendance à me rendre dingue…Depuis que nous avons passé à la démocratie, en 1998, l’inflation a augmenté de 350%. Tout a augmenté, la nourriture est devenu tellement chère qu’on appelle les plus pauvres les rations 0-1-0. Ce qui signifie qu’ils n’ont plus de quoi manger trois fois par jour. Le matin, ils boivent de l’eau (= ration zéro), à midi ils mangent quelque chose à base de farine ( = ration 1) et le soir de l’eau à nouveau. Pendant ce temps, le gouvernement nous parle de l’augmentation du Produit Intérieur Brut ! Moi je me fous du PIB. Je vois surtout est un gouvernement n’arrête pas d’emprunter et de privatiser les services d’état.
Comment voyez-vous le futur au Nigéria?
Seun Kuti L’indépendance existe en Afrique depuis plus de cinquante ans. Mais dans les années 60, seulement 200 Africains étaient diplômés. Comment 200 diplômés auraient-ils pu conduire l’Afrique vers l’Indépendance ? La plupart des gens ne comprenaient pas ce qu’était la démocratie, le système judiciaire, etc. Ils faisaient confiance aux Occidentaux. C’est pour ça que des gens comme Mobutu ont pu manipuler leur peuple. Aujourd’hui, le niveau d’éducation a énormément évolué. Les gens ont compris qu’il faut avancer, miser et croire en eux. Nous ne pouvons plus avoir une économie qui est sous la tutelle de la communauté occidentale. Nous devons avoir une vraie indépendance.
Vous êtes donc optimiste?
Seun Kuti Il faut être optimiste sinon c’est le bain de sang garanti. Nous sommes un milliard, nous avons un certain poids. Pour changer le système, le combattre ou le remplacer, il faut d’abord le connaître et je crois que nous en sommes là aujourd’hui. Je suis sûr que les élections de 2015 vont être les plus folles, les plus intenses, mais aussi les plus honnêtes élections que le Nigéria n’ait jamais eues. Je vois déjà des jeunes qui lancent leur candidature par Internet. Rien de sérieux jusqu’ici, mais c’est clair que cela va venir.
Encore faudrait-il trouver un vrai leader qui arrive à rassembler tout le monde ?
Seun Kuti Oui bien sûr. Nous ne voulons pas d’un Hollande ou d’un Obama. Notre démocratie n’est pas la même démocratie qu’en Occident. Nous en sommes plutôt au stade d’un Abraham Lincoln. Il nous faut un leader de sa trempe, quelqu’un qui soit prêt à se sacrifier entièrement, prêt à construire à partir de rien, prêt à écouter les revendications et les souffrances des gens du peuple. Pas quelqu’un qui vit dan un palace, qui circule dans des voitures blindées et qui se déplace en jet privé.
Banned music
Votre deuxième album, « From Africa in Fury: Rise » est plus déterminé, plus acéré que le premier « Many Things ». Qu’en est-il de votre troisième album qui va paraître au début de 2014?
Seun Kuti Quand vous êtes dans le vrai, votre conviction ne peut que grandir. Plus je grandis, plus j’étudie, plus je me rends compte que ce que je fais est nécessaire, pour le Nigéria, pour l’Afrique. Musicalement, cet album va aussi beaucoup plus loin. Jusqu’ici je n’ai jamais écouté mes disques. Une fois que je les ai enregistrés, je me contente de les jouer sur scène. Je les ai même interdit d’écoute chez moi ! Mais celui-là n’est pas encore sorti et je l’écoute, le réécoute, sans me lasser.
Vous l’avez réalisé avec le producteur Robert Glasper qui vient du jazz et du hip hop américain ?
Seun Kuti Oui, Robert Glasper a ajouté beaucoup de piano et apporté sa patte à la co-production. Le mélange entre son approche et l’afrobeat est vraiment réussi. J’ai aussi des invités incroyables : David Neerman, Christian Scott, M-1 de Dead Prez et d’autres encore.
Vous donnez l’impression d’être très proche de votre groupe, Egypt 80, dont certains des musiciens pourraient être vos grands parents ?
Seun Kuti La musique nous dit ce que nous devons faire. Nous fonctionnons comme une famille. Je ne suis pas entré dans le band en voulant jouer les leaders. Quand Fela est mort, je voulais juste que le groupe continue de jouer. Egypt 80 est une institution C’est le groupe africain qui a le plus enregistré ! Ce n’était pas une histoire d’ego. Aujourd’hui, je suis devenu ce que je suis. Ils m’ont toujours soutenu. Quand mon père est mort, j’avais 14 ans. J’aurais pu jouer avec le groupe pendant dix ans et puis me lancer dans autre chose. Eux avaient 45, 50, 60 ans. Dix ans pour moi, ce n’était rien, mais pour eux c’était tout. Ce sont eux qui ont pris le plus grand risque.
Et avec votre frère Femi, vous n’avez jamais songé à faire quelque chose?
Seun Kuti Oui, c’est prévu. Mais nous ne voulons pas brûler les étapes. On fera un disque ensemble quand on sera tous les deux fauchés !
Comme votre père, vous chantez et vous jouez du saxophone. Et ce depuis que vous êtes tout petit. Qu’est-ce qui vous a attiré vers cet instrument ?
Seun Kuti Mon père a toujours eu un sax à la maison. Il trônait dans le salon. Je ne dirais pas que j’étais attiré, mais le sax était là. Forcément, je m’en approchais et j’essayais d’en jouer. C’était un sax ténor, il avait la même taille que moi ! Mon père ne voulait pas que son sax devienne mon jouet et il a fini par m’en acheter un. Il a ensuite exigé que je commence par le piano. Selon lui, il faut d’abord atteindre un bon niveau au piano avant de pouvoir jouer d’un autre instrument. Au début je n’aimais pas ces cours de piano. Puis j’y ai pris goût et j’ai laissé tomber le saxophone. Je ne l’ai repris qu’après la mort de mon père, à quinze ans. Aujourd’hui, je ne joue plus du piano, sauf pour composer !
En concert au Festival 1066, Grande salle d’Epalinges (Lausanne), samedi 6 octobre, Egalement à l’affiche ce soir-là : Infinite Livez vs Stade, The Procussions.
Le festival démarre ce soir (vendredi) avec: Kolektif Istanbul, Band of Gypsies, Kadebostany
Ouverture des portes 19 h 30. www.1066festival.ch
Bojan Z, en solo, en trio…. bref, en excellente forme!
La pochette du dernier disque de Bojan Z dévoile la photo d’un oiseau, « Rosario ». Un spécimen de perruches que le pianiste serbe considère comme des refuges de l’âme. Ça tombe bien. « Soul Shelter » est justement le nom de son dernier album en solo. Ce soir, au Festival de la Cité, il présente deux concerts consécutifs, preuve de son éclectisme inspiré. Le premier en solo, le deuxième en trio avec en invité spécial, le violoniste suisse, Tobias Preisig. Explications.
Vous avez fait deux disques en solo. En quoi est-ce important pour vous ?
Bojan Z La préparation d’un disque, l’élaboration des compositions, c’est l’obsession d’un moment précis de la vie. Réaliser un disque permet de passer d’une histoire à une autre, de tourner la page. Dans le cas d’un disque en solo, il y a cette idée très peu modeste et un peu folle de chercher à faire quelque chose de différent de ce qui a été fait jusqu’à présent….
Pourquoi ce titre « Soul Shelter » (« l’abri de l’âme ») pour votre dernier album solo paru l’an dernier ?
Bojan Z Ce disque a commencé par une difficulté à accoucher de nouveaux morceaux. J’ai d’abord pensé que le déclin créatif était arrivé ! Mais comme cela ne m’a pas mené très loin, j’ai creusé et je me suis rendu compte que je n’avais peut-être plus envie de communiquer avec mes semblables à travers la musique. De voir la condition actuelle de l’homme et de la planète, la misère humaine, morale et esthétique me bloquait. Je me suis donc naturellement tourné vers moi-même. Je me suis isolé des médias. Depuis la guerre en Yougoslavie, je ne les consultais de toutes façons plus beaucoup. J’ai donc chercher à « abriter mon âme ». Là, j’ai pu constater que, fort heureusement, mon âme avait toujours des choses à dire. Elle était juste un peu bombardée par les particules nocives !
Vous avez été confrontés à des situations très difficiles par rapport à la Yougoslavie, votre pays d’origine. Pourtant votre musique reste joyeuse, vivante, chaleureuse ?
Bojan Z La musique des Balkans comporte ces deux éléments, la tragédie et la comédie. Je ne fais que perpétuer cette tradition ! Je suis de caractère déconneur et joyeux même si j’ai été confronté à une misère et à une bassesse humaine difficilement imaginable à la fin du XXème siècle.
Certains des titres de vos chansons font rire, comme « Greedy » (« In Goods We Trust »). Est-ce une forme de critique sociale ?
Bojan Z Je suis un grand fan des Monthy Python comme beaucoup de gens de ma génération à Belgrade. Le titre des chansons est pour moi l’endroit où l’on eut le plus facilement se lâcher et suggérer des situations absurdes et néanmoins comiques. Ce titre fait partir de mes observations d’une des maladies premières du monde actuel : l’avidité.
Vous avez construit votre propre instrument le xénophone à partir du Fender Rhodes. Pourquoi ?
Bojan Z Cela s’inscrit dans ma quête de faire quelque chose de nouveau, de différent. Je voulais trouver un instrument qui puisse produire les quarts de tons. En tant que pianiste, je joue d’un instrument qui ne me permet pas de jouer toutes les notes que j’entends. Je cherchais aussi à faire sonner différemment un instrument au son connoté. Je l’ai accordé selon les sonorités que j’avais en tête. Le public a d’abord été dégouté, puis sa curiosité s’est réveillée. C’était en 2006. Beaucoup de gens on cru que j’avais inventé un nouvel instrument, mais en fait ce n’est qu’une adaptation du Fender Rhodes. Comme le xénophone est difficilement transportable, je règle et j’accorde à ma manière les Fender Rhodes mis à ma disposition lors des concerts.
Vous avez joué avec des musiciens originaires de beaucoup de cultures différentes, dont des musiciens nord-africains
Bojan Z Les premiers accords que j’ai entendus et que je ne pouvais pas faire au piano (hormis le blues et la soul music) étaient ceux d’un enregistrement de musique égyptienne. Je devais avoir 12-13 ans et cela m’a énormément touché. Je ne sais pas pourquoi. Ensuite, quand jouais sur des pianos désaccordés, j’ai remarqué qu’ils se rapprochaient parfois des modes issus de la musique asiatique. Puis j’ai commencé à expérimenter avec des clefs d’accordage. Lors de l’enregistrement de mon premier album solo, « Solo Obsession », il y avait un accordeur sur place. Je n’osais pas toucher à un piano à queue, de peur de casser une corde. Il l’a fait pour moi. Lorsque vous entendez un piano de concert accordé de cette façon, je peux vous jurer que c’est à la fois horrible et magnifique.
Votre rapport aux musiques nord-africaines ?
Bojan Z Karim Ziad a pu m’expliquer avec des mots ce que je ne comprenais pas dans la musique maghrébine. Souvent les musiciens traditionnels ne savent pas expliquer ce qu’ils font (les rythmes etc). J’ai beaucoup appris en jouant avec els musiciens du Maghreb comme avec ceux de la musique improvisée. Disons que mon chemin est tout sauf fini.
Sur un même enregistrement vous pouvez partir dans le free jazz ou faire une reprise de Bowie, comment faites-vous ?
Bojan Z Je fais partie de ces musiciens qui pensent toujours en fonction du disque. J’aime bien voir un enregistrement comme quelque chose d’homogène. Je pense que le fil conducteur, c’est moi, tout simplement. J‘écoute énormément de choses différentes. Dès que j’ai commencé avec des musiciens de ma génération comme Noël Akchoté, Julien Loureau, on s’est posé la question de ce qu’on ne voulait pas faire plutôt que de ce qu’on voulait faire…On ne voulait pas faire une musique académique, on ne voulait pas refaire à la lettre près ce qui existait déjà. Automatiquement on s’est intéressé à ce qui restait : ça allait des musiques ethniques au free funk. Et on cherchait à comprendre pourquoi les musiciens procédaient de la sorte. Il me semble que ce genre de discussion, ce genre d’exigence est en forte diminution dans la nouvelle génération qui sort des écoles.
Vous-même avez pourtant fait des études de musique classique assez poussées?
Bojan Z Il y a une chose dont je suis très fier, c’est de ne pas avoir été bon à l’école. J’ai vraiment réussi de justesse. Quand ils m’ont remis mon diplôme, j’explosais de joie. Mes profs ne comprenaient pas, vu mes piètres résultats. Je me fichais complètement du diplôme, je savais déjà que ça n’allait pas me servir pour ce que je voulais faire. J’avais suivi le cursus parce que mes parents l’exigeaient. Je sautais de joie parce que c’était enfin fini. Peu après j’étais à Paris….
Que se passe-t-il dans votre tête quand vous reprenez un morceau comme « Ashes to Ashes » de David Bowie ?
Bojan Z J’aime m’inspirer des liens émotionnels en rapport avec ma vie, des gens que je rencontre, des odeurs, des couleurs. J’ai toujours dévoré les musiques. J’ai écouté mon premier disque des Beatles à l’âge de six ans. A l’âge de dix ans, je connaissais déjà tout le répertoire. A la suite des Beatles, j’ai découvert toute la scène anglaise ; Bowie faisait partie des musiciens que je suivais. Ce morceau m’est venu au moment où j’étais entrain de disperser les cendres de mon père dans la mer. Mon oncle essayait de se rappeler les paroles usuelles « ashes to ashes, dust to dust … ». Il n’y arrivait pas et, curieusement, ce morceau m’est revenu.
Vous avez été d’accord de faire cette rencontre à la Cité avec le violoniste suisse Tobias Preisig alors que vous n’êtes pas un grand fan de violon. Pourquoi ?
Bojan Z Je ne pense pas être un être fini. J’espère encore pouvoir évoluer ! Ma relation problématique avec le violon remonte à mes années d’étude. J’étais à l’école du matin au soir et, il y avait toujours un élève de âge de trois ou de huit ans qui est essayait de jouer à l’unisson avec le prof de l’autre côté de la paroi. Ce son m’a marqué très profondément. J’ai parfois joué avec des violonistes, mais j’ai du mal à être touché par le violon. Cela dit, je trouve l’approche de Tobias intéressante. Et je suis sûr qu’on va s’entendre.
Bojan Z solo. Place du Château, samedi 13 juillet, 18 h 45
Bojan Z trio avec Tobias Preisig. Place du Château, samedi 13 juillet, 22 h 15.
Lelou Menwar, histoires créoles
Avec son trio à cinq sous, Lelou Menwar porte haut et fort l’étendard d’une musique mauricienne différente, passionnante. Il sera en concert ce soir au Festival de la Cité.
Lelou Menwar est de ceux qui vivent au rythme de la nature, s’imprègnent des sons du quotidien observent et créent à partir de ce qui semble tellement évident qu’on ne le remarque même plus. Né en 1955 dans une cité de l’île Maurice, à quelque 500 km à l’Est de Madagascar au milieu de l’Océan Indien, rien ne le prédestine à devenir ce qu’il est aujourd’hui : un rénovateur subtil des musiques traditionnelles de son pays.
Petit, il ouvre grand ses oreilles, entend le sega : le chant et les percussions et la danse que les esclaves de diverses origines ont élaboré ensemble en créole. A la fin des années 60, sous l’influence du folk et du rock, le sega s’essaie à la guitare. Stéphano Honoré, déjà surnommé Lelou, mais pas encore Menwar (« La Main Noire) ne fréquente pas beaucoup l’école. Il fait des petits boulots, bricole des instruments avec ce qui lui tombe sous la main. A 14 ans, il compose sa première chanson comme d’autres aujourd’hui feraient leur premier rap : « pour dire les choses qui ne me semblent pas justes ». Sous les cocotiers sous le soleil et les alisés, l’île Maurice cache son lot de pauvres, de délinquants juvéniles et de problèmes de drogue. « Le slogan de l’île Maurice est “le pays avant tout“. Pour moi, la priorité c’est le bien-être des gens. Il ne sert à rien de construire des maisons pour le bon Dieu si les gens n’ont pas de quoi se loger !»
Quarante ans plus tard, Lelou Menwar est devenu l’ambassadeur du sagaï, un genre qu’il a créé, dérivé du sega. Ce nom fait référence aux baguettes que les artisans matelassiers utilisent pour trier les fils de laine. Ce sagaï-là a été conçu après maints voyages. Un séjour de plusieurs années à l’île de la Réunion où Menwar côtoie ceux qui sont devenus aujourd’hui des références : Danyel Waro, Gilbert Pounia de Zisakakan ou Alain Peters. Puis de nombreux voyages – de plusieurs mois à deux ans – en France. Mais Lelou Menwar revient toujours sur son île pour partager, pour échanger. Avec quatre CDs à son actifs (malheureusement difficilement trouvables) et ses prestations scéniques trop rares sur notre continent, Lelou Menwar est l’un des passages obligés du festival de la Cité. Avec son trio « à cinq sous » comme il l’appelle affectueusement, il démontre une fois encore que moins c’est plus. Une voix incantatoire, un chant en créole, des percussions et une guitare suffisent à vous emmener dans un tourbillon d’émotions et de paysages sonores.
Parce qu’il n’aime pas les idées reçues, Lelou Menwar porte des nattes depuis plus de vingt ans : « Je ne suis pas rasta, je suis ouvert à toutes les religions. Mais je porte les dreadlocks pour lutter contre les préjugés que l’on peut avoir contre ceux qui ont choisi cette coiffure. Comme pour dire “regardez je suis normal et je porte des nattes“ ». Défenseur du Ravanne (grand tambourin africain), Lelou Menwar a tout appris en autodidacte et ne sait ni lire ni écrire. Ce qui ne l’a pas empêché de faire une méthode (livre et cassette) sur le sujet en compagnie de deux amis, respectivement musicien et écrivain. Il a également fondé une école de Ravanne. Aujourd’hui, il se réjouit de voir que la culture dont il est issu n’est plus en voie de disparition. Mieux qu’elle évolue et se structure. Quant à lui, il continue sa trajectoire, tranquillement, sereinement, toujours à l’affût de nouvelles sonorités, de nouveaux instruments de percussion, à créer à partir de coques de pistaches ou de tiges de canne à sucre. Pour porter toujours plus loin les histoires de marins et d’exil et les musiques qui peuplent son petit bout de terre.
Festival de la Cité, La Fabrique, vendredi 13 juillet à 20 h 45.
Akim El Sikameya: « Je n’ai jamais aimé les eaux qui stagnent »
L’Oranais Akim El Sikameya réinsuffle la vie à la musique arabo-andalouse de ses origines. Il fera escale à Genève le 18 février en compagnie de son amie espagnole Mara Aranda. Interview.
Toujours en mouvement, Akim El Sikameya explose de créativité sur son troisième album réalisé en compagnie de Philippe Eidel. Le chanteur et violoniste y fait monter et descendre sa voix de contre-ténor dans un tourbillon de musiques dansantes et profondes. Introducing est bien plus qu’une introduction, c’est une séance d’initiation à une musique acoustique puissante et fédératrice. Attablé à une petite table du Café du Train Bleu, à la Gare de Lyon, Akim El Sikameya s’en explique, de sa voix si particulière, qui accroche immédiatement.
Né à Oran d’un père procureur, entouré de grands frères carriéristes, qu’est-ce qui vous a poussé à étudier la musique arabo-andalouse dès l’âge de huit ans?
Akim El Sikameya Mon père était mélomane, issu d’une famille de musiciens. Mes parents étaient originaires de Tlemcen, une ville arabo-andalouse qui a, comme Constantine ou Fez, accueilli les Musulmans expulsés d’Espagne en 1492. J’ai toujours aimé la musique arabo-andalouse, mais après l’avoir étudiée assis en costard-cravate pendant de nombreuses années dans une école réputée d’Oran, j’en ai eu marre. J’avais envie d’autre chose, j’avais envie de la démocratiser. J’ai lancé mon premier groupe El Meya en 1990. J’y ai tout de suite introduit un piano parce que j’avais envie d’innover. Ce qui était une hérésie pour les puristes. Mon école m’a d’ailleurs fait passer en conseil de discipline. Je cherche toujours à me projeter plus loin. Je n’ai jamais aimé les eaux qui stagnent.
Quand on pense à Oran dans les années 80, on pense au raï. N’avez-vous jamais été tenté d’en faire ?
Akim El Sikameya J’adorais le raï. Mon idole était Cheb Hasni. Mais je ne pouvais pas chanter le raï de Cheb Khaled ou de Cheb Mami parce qu’ils avaient des textes trop directs, trop crus. C’était trop vulgaire pour quelqu’un comme moi, abreuvé aux valeurs de l’amour courtois. Cela dit, la musique arabo-andalouse est d’essence métisse. Elle a reçu l’influence des Perses, des Grecs, des Berbères ; elle est juive, chrétienne et musulmane. Avec El Meya, on jouait du raï, mais du raï traditionnel, le raï des anciens ! On jouait également le répertoire marocain.
Vous arrivez en France en 1994. Comment vous relancez-vous dans la musique ?
Akim El Sikameya Deux de mes grands frères, mes aînés de 25 ans, furent condamnés à mort par le FIS et s’enfuirent. C’était l’époque ou le FIS ciblait tous les intellectuels. Dès que j’ai eu fini mes études, je les ai suivis. Je suis arrivé à Marseille. Au début j’avais juste un visa d’un mois pour un atelier culturel. J’ai dû ensuite entamer un parcours de combattant pour régulariser ma situation. J’ai été beaucoup aidé par le réseau de solidarité en faveur des Algériens. J’ai fait un master en management, puis j’ai cherché du boulot. À Marseille, j’ai retrouvé deux des musiciens de El Meya et l’on s’est mis à tourner dans le milieu associatif. C’est ce qui m’a permis de subsister. J’ai toujours été actif dans le milieu associatif. Aujourd’hui, je fais des ateliers de chant arabo-andalou pour des jeunes ados du 11e et du 20e. Cela me permet aussi de faire passer le message de tolérance et de paix contenu dans cette musique. Je serai toujours contre le fanatisme sous toutes ses formes.
Sur ce nouvel album, Introducing, on vous sent libéré…
Akim El Sikameya Pour la première fois, j’ai écrit tous les textes moi-même. Ce sont toujours des textes très imagés. Ils ont parfois plusieurs niveaux de lecture, comme « Le Sultan Tyran », une fable à la fois politique et érotique. Il y a toute une tradition de la littérature arabe érotique à laquelle je souscris. Sur ce disque, je me suis affirmé. Je me suis même fait rattraper par le raï puisque j’utilise tout le panel de ma voix, des graves aux aigus alors qu’avant je n’étais que dans les hauts.
Cette interview a initialement été publiée dans le magazine Vibrations.
À écouter:
Akim El Sikameya, Introducing (World Music Network/Harmonia Mundi)
En concert avec Mara Aranda à:
Plan-Les-Ouates (Genève), la Julienne, jeudi 18 février, 20 h.
Billets: achat en ligne ici
Site internet:
Interview de Tony Allen
J’ai rencontré Tony Allen, un des pères de l’afrobeat à Paris à l’occasion de la sortie de son nouvel album «Secret Agent». Je l’ai revu au Festival Factory en octobre. Un concert dont le final fut mémorable : une longue jam avec le virtuose des claviers RV (Hervé Salters) et son combo rock-funk-jazz General Elektriks. Un moment d’anthologie qui n’existe pas sur le net pour l’instant. En attendant, voici une autre vidéo live de Tony Allen et mon interview réalisée pour Radio Paradiso, écoutable ici. Il y parle de son nouvel album, mais aussi de sa vision actuelle du Nigéria, de son approche musicale. Il se remémore également ses débuts avec Fela ainsi que comment l’afrobeat fut créé! Bonne écoute.
A signaler encore son concert en Suisse. Ce sera le 28 novembre au Temple du Bas de Neuchâtel.
à propos de ma future carrière au Bengladesh…
Il est de ces hasards qui font des rencontres, des petits instants de bonheur. Et qui me redonnent de la vigueur dans ma vocation de journaliste musicale (même si je suis toujours mal payée et que j’aligne les heures devant l’écran…).
Ma dernière en date fut l’interview de la chanteuse bengali Farida Parveen. J’avais prévu de présenter cette grande dame de la chanson soufie dans les pages du Courrier. Premier hic: mes délais rédactionnels m’empêchent de rencontrer la dame de visu. Me voilà donc partie pour une interview téléphonique, en communication directe avec l’hôtel Ibis de Roissy. Clairement moins dépaysant qu’un reportage au Bengladesh! Farida Parveen s’y était installée la veille en compagnie de ses musiciens pour une petite tournée européenne.
Dès le début, l’interview s’annonce périlleux, voire improbable. Farida Parveen parle très peu l’anglais. Et moi, bien évidemment, pas un seul mot de bengladeshi. Son agent, Pierre-Alain Baud, que je salue ici, se démène comme un beau diable pour que la communication passe. S’ensuit une longue conversation mélangée de bengali et franglais… Mais le courant passe et mes interlocuteurs téléphoniques sont aussi adorables que leur musique est magnifique. Du coup, inspirée, je ponds rapidement mon article pour le Courrier (ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas). Sans que je sache pourquoi, l’équipe du Courrier décide de mettre à la « une » la photo de Farida Parveen pour annoncer mon papier dans les pages intérieures.
Du coup, ce matin mon téléphone sonne et j’ai le manager, ému, au bout du fil. Il me dit que les musiciens ont été tellement sidérés par l’article et par la place que Le Courrier a accordé à Farida Parveen qu’il souhaiteraient obtenir chacun un exemplaire du magazine. Il me dit encore qu’ils veulent le montrer à la télévision et à la radio au Bengladesh, voir le faire traduire. A mon tour d’être baba. En tous cas, s’il jamais ils le traduisent, j’aimerais bien recevoir une copie de ma prose en bengali! A défaut, vous pouvez télécharger le PDF de l’article en français ici: Le Courrier_Farida Parveen ou aller le lire sur le site du Courrier!
Ah! J’allais oublier, Le Courrier, le seul quotidien romand (voire francophone) qui a osé mettre une photo de Farida Parveen en couverture est un excellent quotidien indépendant, qui a toujours préféré compter sur ses lecteurs plutôt que sur d’aléatoires recettes publicitaires. Pour sûr, la meilleure façon de rester intègre. En ces temps de crise, le Courrier est plus que jamais à la recherche de nouveaux abonnés, voir de généreux donateurs. Cliquez ici si ça vous intéresse ou si vous êtes à la recherche de cadeaux de Noël intelligents!
Et surtout, si vous êtes du côté de la cité de Calvin, allez écoutez ce soir Farida Parveen et ses merveilleux musiciens à l’Alhambra de Genève.
El Hadj N’Diaye. l’irréductible indépendant de la musique sénégalaise
Du 18 au 25 mars, il donne quelques concerts en France. Ne ratez pas cette voix puissante et ce dénonciateur inconditionnel. Sur scène ou sur disque.
Au pays du rap et du mbalax, El Hadj N’Diaye est un chanteur à texte atypique. Du haut de ses 20 ans de carrière, l’homme est un adepte du «peu, mais bien». Peu de disques, mais des chansons en forme d’hymnes, régulièrement utilisés en bande-son d’émissions TV. Unanimement respecté à Dakar, El Hadj N’Diaye est la voix des sans voix.
Après sept ans de silence, son nouveau CD, le troisième, parvient d’une façon toujours plus subtile à l’équilibre parfait entre textes virulents, voix incantatoire et chaleur humaine. Un empêcheur de tourner en rond croisé dans un café parisien lors de l’un de ses courts séjours dans la capitale française.
Pourquoi avoir laissé passé autant de temps entre votre précédent album et «Geej» ?
El Hadj N’Diaye: Il s’est passé beaucoup de choses. Je m’occupais depuis des années d’un studio ouvert aux jeunes artistes sénégalais. Ce studio était financé par une ONG qui a soudainement décidé de cesser cette activité. Ma déception fut telle que je me suis lancé dans l’agriculture. J’ai acquis un terrain pour faire de la culture de mangues. Puis ma mère est décédée. Mais je suis quand même resté actif. J’ai développé des projets dans des écoles, participé à des musiques du film. Et j’ai même reconstruit ce studio pièce par pièce un peu plus loin, au cap des Biches.
La pochette de «Geej» montre un enfant de dos courant sur une plage au milieu d’un viseur. Pourquoi ?
El Hadj N’Diaye: J’ai voulu mettre en avant le fait que des milliers de jeunes sont prêts à risquer leur vie en s’embarquant sur des pirogues pour tenter d’accéder à l’Occident. La situation s’est beaucoup détériorée au Sénégal depuis 2000. En 2000, l’alternance politique a été votée pour la première fois, grâce à la mobilisation des jeunes. Cela a déclenché un immense élan d’espoir. Un espoir qui se noie aujourd’hui dans la mer.
Dans votre disque, vous «samplez» un discours du célèbre savant Cheikh Anta Diop sur la négritude. En quoi est-ce toujours d’actualité en 2008?
El Hadj N’Diaye: J’ai composé cette chanson, il y a longtemps, le jour de sa mort. Je pense que l’Afrique ne doit pas oublier Cheikh Anta Diop et ses prises de positions anticolonialistes. Il y a quelques mois Sarkozy donnait son fameux discours à l’Université de Dakar qui s’appelle d’ailleurs Université Cheikh Anta Diop… On en est toujours au même point.
Vous êtes un des rares «chanteurs à textes» du Sénégal. Comment vivez-vous cette responsabilité ?
El Hadj N’Diaye: Le mbalax est une musique qui fait danser, oublier. Ce sont des vidéoclips de gens bien sapés qui jurent avec la réalité. Tant que les gens pensent à danser et à s’habiller, ils ne pensent pas à autre chose… Pour moi être artiste, c’est avant tout un engagement social envers les Sénégalais. Au début de ma carrière, on a cherché à me faire me taire. Mais je n’ai jamais remis en question mon choix. Soit on se rend complice en se taisant, soit on continue par conviction. La force du chant est primordiale dans une culture orale où 50% de la population est analphabète. Je me souviens de mon premier producteur qui me disait : «Tu as une belle voix, mais pourquoi chantes-tu ces conneries-là ?». Il faut admettre que je ne sais que chanter «ces conneries-là» (rires). Je me révolterai toujours contre cette Afrique soi-disant pauvre. Nous sommes assis en haillons sur des mines d’or et de diamant !
Comment vous est venu cette vocation ?
El Hadj N’Diaye: J’ai toujours eu d’excellents résultats scolaires. C’était ma vengeance contre la pauvreté dans laquelle je vivais. Pour me féliciter d’avoir passé mon bac, mon petit frère m’a offert une guitare. Je ne savais pas qu’en faire. J’ai d’abord essayé de la revendre, mais on m’en donnait tellement peu et elle était tellement jolie… Alors je l’ai accrochée au mur de ma chambre et je la regardais. Ayant obtenu un bac avec mention, j’aurais dû obtenir une bourse pour l’université. Mais faute d’avoir les bonnes relations, je ne l’ai pas eue. J’ai quand même fini par aller à l’université, mais cela m’a dégoûté. Alors un jour, j’ai décroché ma guitare de son clou pour chanter tout ce qui me révoltait.
(interview initialement parue dans Vibrations en mai 2008).
A ECOUTER
El Hadj’N’Diaye, «Geej», Marabi/Harmonia Mundi/Disques Office